la "Fac" : une cinquantenaire qui fonce

 Tandis que les politiques tergiversent, se demandant encore si oui ou non le département de la Loire Atlantique ne devrait pas rejoindre la région Bretagne en faisant usage de son « droit d’option » d’ici 2019, les universités nantaises, ligériennes et bretonnes, elles, foncent ! Avec pour objectif : la naissance au 1er janvier 2016 de l’Université Bretagne Loire, soit une nouvelle ComUE (Communauté d’Universités et d’Etablissements) qui avec ses 7 universités, 15 écoles ,5 organismes de recherche, 170 000 étudiants et 17 000 enseignants chercheurs sera de loin la plus grande de France. Lancé en mars 2014, ce projet de fusion qui vise à renforcer les synergies entre les établissements inter-régionaux est bien en passe de réussir. En tous les cas, pas un jour ne passe sans que leur compte commun twitter n’annonce qu’un établissement partenaire vient d’approuver les nouveaux statuts de la future université du Grand Ouest français.

 

Nantes, la mal aimée

Dans ce cadre quelle marque de succès et petite revanche pour l’Université nantaise ! Celle qui fut longtemps la mal aimée de Bretagne et de France, poursuit, moins de soixante ans après sa refondation, son expansion locale et à l’international. Et ce, sans sourciller.

Université pluridisciplinaire forte de plus de 400 diplômes proposés (sur le modèle LMD, formations d’ingénieurs, diplômes universitaires), 8 campus, 4200 personnels dont 1220 enseignants chercheurs et 37 000 étudiants, la « Fac » de Nantes n’a en effet plus aujourd’hui à prouver son droit à exister. Droit qu’on lui a longtemps contesté.

 

Fondée en 1460 par François II, Duc de Bretagne, qui voulait en faire L’Université de Bretagne s’il en est, contre celles d’Angers, de Poitiers et bien sûr de Paris, l’Université de Nantes souffrit très tôt du rattachement du Duché au Royaume de France (1532), la montée en puissance dans ce contexte de Rennes, capitale politique, administrative et « intellectuelle » de la nouvelle Bretagne… et des activités commerciales de Nantes.

En 1735 en effet, et après un nième rappel, Paris décide de rattacher sa faculté de Droit à Rennes. Sur le site de l’Université, on peut lire à ce sujet la chose étonnante suivante : « En octobre 1735, un rapport royal ordonne le transfert à Rennes de la Faculté de Droit. Il statue que les étudiants ne font à Nantes "que des études très imparfaites et sont d’ailleurs exposés à toutes les occasions de dissipation et de dérèglement qu’une ville aussi peuplée que celle de Nantes, et où il aborde un aussi grand nombre d’étrangers, peut leur présenter".

Rien de neuf sous le soleil en quelque sorte, sauf que ce dévergondage semble aussi être lié aux activités portuaires et économiques de la ville, jugées peu compatibles avec les sciences : « Toujours d’après ce rapport "les habitants de Nantes s’attachent beaucoup plus au commerce qu’à l’étude, souvent trop stérile, des lois et de la jurisprudence". Ce que semble confirmer l’extrait d’un article de l’Encyclopédie (1765), signé de Louis de Jaucourt : « L’Université de Nantes fut fondée en l’an 1460, mais c’est l’Université du Commerce qui brille dans cette ville. Ils arment tous les ans plusieurs navires pour la traite des nègres dans les colonies françaises. Ce débit de toutes sortes de marchandises est plus élevé et plus vif à Nantes que dans les autres villes du Royaume».

 

Quoi qu’il en soit, et comme toutes les autres universités d’ailleurs, la « Fac » de Nantes fut dissoute à la Révolution (1793). Surtout, par la suite elle fut « omise » de la création de l’Université impériale voulue par Napoléon en 1806. Nantes se retrouve donc « sans rien ».

Tout au long du XIXème siècle et jusqu’en 1962, la vie universitaire nantaise fut alors le fait d’initiatives privées et de la volonté d’élus locaux ne se résignant pas à voir disparaître toute vie intellectuelle, d’enseignement et de recherche à Nantes. De nombreuses écoles virent ainsi le jour, toutes en lien avec les activités économiques de la ville : Ecole de médecine (sur l’Ile de la Madeleine, à côté de son « Hôtel Dieu », aujourd’hui CHU), d’hydrographie (compte tenu des colonies), de commerce, d’ingénieurs…

Paradoxalement, c’est « grâce » au retour du général de Gaulle au pouvoir (dont nombreux ont oublié qu’il était favorable à une régionalisation de l’hexagone) et aux effets du baby-boom de l’après-guerre, que l’Université de Nantes va « renaître officiellement en 1962 », explique Nadège Souchereau, directrice des Relations internationales. A la médecine « fille aînée et ancêtre de l’Université » (le pôle « Santé » représente 43% des inscrits) et aux études techniques, viendront donc s’adjoindre 3 nouvelles facultés dans les domaines des Sciences, Lettres et Droit qui installeront leur campus sur les bords de l’Erdre.

 

Des coopérations régionales et internationales

De là, l’Université de Nantes ne cesse de grandir : adjonction de la sociologie en 1966, installation de laboratoires du CNRS (Centre national de la Recherche scientifique), ouverture d’IUT (Institut universitaire technique, le pendant des FH allemandes), ouverture de campus en 1989 à La Roche-sur-Yon en Vendée et à Saint-Nazaire.

Surtout, elle renforce ces coopérations académiques régionales et interrégionales : « En 2009, poursuit la jeune responsable des RI, nous avons fondé un Pôle de Recherche et d’Enseignement avec les Université d’Angers et du Mans ainsi que l’Ecole Centrale de Nantes. Maintenant, ces PRES s’appellent des ComUE, et c’est ce que nous en sommes en train de mettre sur pied avec le projet d’Université Bretagne Loire en cours d’adoption… »,

Parallèlement, les liens avec les acteurs institutionnels et économiques locaux se sont renforcés. En 1999 et pour la première fois dans l’histoire de l’Université, son directeur s’est en effet rendu au conseil municipal de la ville de Nantes pour débattre de son avenir et de son insertion dans le territoire. Aujourd’hui, ce genre de communication s’est banalisé et la « Fac » est aussi un des interlocuteurs privilégiés de Nantes-Métropole ou du Conseil Régional (dont 11% du budget sont consacrés au Développement économique, à l’enseignement supérieur, la Recherche et l’innovation) ainsi que de multiples autres entreprises par le biais de « Cluster » sur des projet de recherche innovants.

 « Résultat : aujourd’hui, un habitant nantais sur douze travaille ou étudie à l’Université de Nantes. Profitant de la dynamique démographique régionale et municipale, rien qu’en 2014, nous avons accueilli 1000 étudiants supplémentaires en première année de Licence », estime Nadège Souchereau.

 

Apprendre le français

Parmi eux, 10% « d’étrangers », l’Université ayant pas moins de 408 établissements partenaires et 150 accords de coopération hors Europe. Venant essentiellement d’Asie ou du Maghreb, ces étudiants « Incoming » constituent alors la clientèle de choix de l’IRFFLE (Institut de Recherche et de Formation en Français Langue Etrangère) dont les locaux étaient en juillet encore situé sur le Campus du Tertre, les marches des escaliers nous accueillant avec une très belle citation de Goethe: « Fouettés par des esprits invisibles, les chevaux du temps emportent malgré nous, le char léger de notre destinée.» Quelle coïncidence ! Peu banal qui plus est pour un centre de FLE !


 Plus sérieusement « Ce n’est pas la moindre originalité de l’IRFLE, nous explique alors son directeur Gilles Kersaudy, que d’être à la fois un Centre universitaire de langue, proposant des cours de français du niveau A1 jusqu’à C1 du CECRL mais aussi un institut de recherche en didactique du Fle disposant d’un laboratoire propre sur les analyses discursives et proposant un Master 1 et 2, dont un de « Recherche ». Là encore, nos principaux « clients » sont étrangers. Ils viennent chez nous pour faire certifier leurs compétences de manière à ce qu’elles soient mieux reconnues dans leur propre pays. » Au total, plus de mille étudiants transitent chaque année par l’IRFFLE.

 

En forme l’Université de Nantes ? Oui, si l’on s’en tient à ce panorama passé et aux perspectives d’avenir. Pour autant, il est clair que cette course aux partenariats, aux coopérations, au travail en réseau… tout aussi positive soit-elle a aussi une raison bien triviale. Le désengagement constant de l’Etat. Un désengagement qui s’est accéléré depuis 2007, tant pour les Universités françaises (dépendantes à 90% des dotations de Paris, immédiatement dépensées à 80% par les frais de personnels) que pour les Collectivités territoriales, notamment les Régions à qui ont a ôté en 2010 le bénéfice de la taxe professionnelle, pour le remplacer par des « compensations financières de l’Etat». Pas à la hauteur bien sûr. D’où un accroissement constant de l’endettement… dont on voit mal comment il va se terminer. A suivre.

VK.